Les cahiers naturalistes n° 71

Auteur(s) :

Epoque(s) :

Edition : Grasset-Fasquelle

Dépot légal : août 1997

Imprimeur : SNI Jacques et Demontrond (Thise/Besançon)

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Les cahiers naturalistes n°71 back

N°71 d’août 1997
370 pages de format 13,5 sur 21 cm
Prix : 160 F

Fondés en 1955, Les Cahiers naturalistes sont publiés par l’Equipe Zola de l’ITEM et la Société littéraire des Amis d’Emile Zola, avec l’aide des éditions Grasset et du CNL. Ils se consacrent à l’étude de la vie et de l’œuvre d’Emile Zola, ainsi qu’à l’histoire du mouvement naturaliste et de l’affaire Dreyfus. Dirigés par Alain Pagès, ils paraissent sous la forme d’un numéro annuel, d’environ 400 p. La qualité scientifique et l’audience internationale de la revue ont été salués en 2008 par un classement en catégorie « A » attribué par l’ERIH (European Reference Index for the Humanities).

Dans l’avant-propos écrit par Alain Pagès, il est précisé que la 3ème partie de ce n°71 retrouve la question-inépuisable- des « avatars » du naturalisme. Les formes en sont variées comme le rappellent les exemples présentés ici : transposition du « Rêve » sur la scène lyrique, adaptation de « La Bête humaine » au cinéma, parodies produites par les chansons, jusqu’à ces échos de l’œuvre de Zola que l’on peut découvrir chez Frédéric Dard, le créateur de l’immortel San-Antonio !

Un article de 9 pages intitulé « Le Zola du pauvre (Zola et San-Antonio) » rédigé par Alexandrine Viboud rassemble les références à Zola que l’on trouve dans les San-Antonio.
Zola est moins cité que Victor Hugo (présent dans presque chaque ouvrage), mais il l’est bien plus que Balzac ou Stendhal. Les références à Hugo se font principalement aux personnages, surtout à ceux des « Misérables » alors que celles que San-Antonio fait à Zola tournent le plus souvent autour des problèmes de la description. Il est intéressant de noter que le sentiment de Frédéric Dard, quant à Zola, en général, et quant à la tendance descriptive zolienne, évolue, non sans ambiguïtés, suivant les années.
Il est, en 1967, dans « Béru et ces dames » terme d’une comparaison où le narrateur se donne une supériorité :
« Vous verriez ces décombres, ça vous donnerait la nausée : vaisselle et meubles sont brisés. Un désordre indescriptible que, néanmoins, avec mon grand talent réaliste, à coté duquel celui de Zola n’est qu’une rédaction d’élève de sixième, je vais essayer de vous décrire, règne dans la pièce. »
Dans « N’en jetez plus », en 1971, l’appréciation est plus élogieuse:
« Peut-être n’est-il pas superflu que je vous brossasse le décor du baraquement 12, mes gamins ? Manière de vous situer l’action. Pardon, vous dites ? Vous n’en avez rien à branler des descriptions ? Bon, comme vous voudrez. Seulement moi et Zola on vous arrose le fondement à la bière digérée ! On vous couvre la bouille d’affreux graffiti. On vous méprise jusque dans le repli de vos bourses(1) ! C’est quoi votre idéal littéraire, alors? Zévacco ou Robbe-Grillet, L’horaire d’Air France ?(2) »
(1) Zola avait abordé, un siècle auparavant, la difficulté de décrire des réalités sexuelles dans « De la moralité dans la littérature » : « Je m’étonne et je déplore simplement en écrivain que l’étude du sexe, j’entends dans ses vérités physiologiques, nous soit interdite comme une ordure presque infamante. »
(2) En citant, à travers Zévacco, le genre du roman feuilleton, F. Dard critique explicitement un genre également honni par Zola.

Dans « Viens avec ton cierge », en 1978, le narrateur est beaucoup plus critique :
« J’arrête là mon dithyrambe parce que sinon je vais prendre mon panard à te décrire le panorama en détail et rien ne te fais plus tarter que lorsque je m’écarte du sujet. Je préfère garder ma liberté de manœuvre pour mes digressions, d’autant plus que le descriptif est passé de mode, hein ? Zola, ça va un moment, mais t’as tes propres soporifiques. »
C’est aussi la même chose, en 1986, dans « Après vous, s’il en reste, Monsieur le Président » :
« Peut-être connais tu New Delhi, toi non plus ? Y’a du monde, hein ? Et alors, pour être indien, c’est indien, t’as remarqué ? Et la circulation, dis ? T’es d’accord ? Bon. Mais assez de description comme ça, qu’après on tourne Zola et le lecteur chéri se met à bouder. »
La description n’est plus, en 1987, dans « Galantine de volaille pour dames frivoles », que la plus ennuyeuse tache de travail du romancier :
« Lui, un bel homme encore jeune (…), si tu peux imaginer ? Oui, tu peux ? Merci, ça m’arrange. T’as des enfoirés qu’on doit tout leur mâcher, bien décrire à la Zola qu’y a rien de plus chiant ! Je te jure, faire romancier n’est pas une sinécure mais plutôt une cure de ciné ! Il y faut la vocation, quoi ! »
Toutefois, dans « L’année de la moule », en 1982, San-Antonio s’excuse de ne pas avoir assez insisté sur une description en empruntant (sans doute sans le savoir) le « zézaiement » d’Emile Zola :
« Elle coule sa main de pianiste de jazz dans la poche de son blouson à pompons de cuir mordoré, j’avais omis de te préciser, tu voudras bien m’excuser, je suis trop zoli pour être Zola ; on cause, on raconte et j’oublie le plus important. »
Si la question de la description est souvent le prétexte à nommer Zola, Frédéric Dard fait aussi référence, notamment à partir des années 90, aux œuvres les plus connues de Zola.
Ainsi, en 1991, dans « Buffalo Bide » :
La chanson raconte un peu le sujet de « La Bête humaine » d’Emile Zola, (l’auteur des bougons macars). Le mécanicien et le soutier de la locomotive qui se battent pour une femme. »
L’histoire de Jacques Lantier avait d’ailleurs déjà été évoquée, en 1969, dans « En avant la moujik » dans lequel Frédéric Dard inventait un ouvrage d’Emile Zola, curieux mélange de « La Bête Humaine » et de « La faute de l’Abbé Mouret » :
« Primo le train débouche de la courbe dans un grand halètement que mon regretté camarade Zola vous décrirait mieux que je ne saurais le faire car il a beaucoup travaillé dans les chemins de faire, et il y a plus de locaux motives dans sa « Faute de l’Abbé Tumaine » qu’à la gare régulatrice de Melun . »
On trouve encore dans « Mets ton doigt où j’ai mon doigt », en 1974, une référence aux Rougon-Macquart :
« Blachiotte lit sa fiche. Là-dessus y’a tout. Il n’a jamais montré son fichier à personne. C’est un truc à lui. Sa collection private. Son hobby. Sa marotte. Mieux : son œuvre. Pour lui, ça se situe entre « La Comédie humaine » et les « Rougon-Macquart ». C’est le vrai Who’s Who, garanti sans colorant nocif. »
Ou encore dans « Les morues se dessalent », en 1988 :
« Dix heures de baise d’affilée, tu permets, Gervais ? Tout décrire, sans escale, c’est surhumain. Te démarrer depuis la première pression de main jusqu’à l’anéantissement complet, là qu’on se choit pêle-mêle, qu’impossible de déterminer qui est dessous, ni qui dessus ! Putain, ce travail ! « La contrition humaine » de Balzac, les « Bougon-Maqueue » de Zola ? Juste du placet mutin ; du matériel pour cruciverbistes.
Frédéric Dard se servira même de certaines adaptations cinématographiques récentes des œuvres de Zola. Ainsi, en 1994, quelques mois après la sortie du « Germinal » de Claude Berri, on peut trouver dans « Sauce tomate sur canapé » :
« Je sonne. La gentille vient m’ouvrir, son chiare dans les bras, pareille à Miou-Miou dans « Germinable », qui ne s’en sépare même pas pour baiser ou pleurer l’hécatombe qui se perpètre dans sa famille. »
En conclusion, Frédéric Dard, à sa manière, contribue à entériner les clichés les plus « attendus » sur Zola. Donc, à sa manière aussi, de le confirmer comme « classique ».

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