Pierre Mamie

Evêque émérite et heureux
Pendant l’été, «La Gruyère» propose de découvrir ce que sont devenues des personnalités dont le rayonnement a marqué la région. Rencontre avec Mgr Pierre Mamie, évêque du diocèse entre 1970 et 1995, en retraite depuis dix ans au Foyer Jean Paul II à Villars-sur-Glâne.

A 85 ans, dix ans après sa retraite, Mgr Pierre Mamie envisage d’écrire ses mémoires, «si Dieu lui en laisse le temps»
Retour en arrière vers le Fribourg des années 1980, un autre monde. Mgr Pierre Mamie est un évêque en vue. En charge du diocèse depuis 1970, il est influent au sein des structures ecclésiastiques, rayonne sur la scène médiatique. Ami des artistes et des sportifs, proche du monde politique, Pierre Mamie apparaît comme un prince de la Renaissance échoué en plein XXe siècle. L’évêque est de toutes les officialités, symbole brillant d’un catholicisme qui offre, à Fribourg, des prolongations à son pouvoir temporel.
Il faut dire que la nature, aidée par des grâces plus divines, a été généreuse avec ce prêtre né à La Chaux-de-Fonds en mars 1920. L’homme a de l’allure, un visage sorti tout droit d’un tableau de Piero della Francesca, le goût du verbe et des idées, une intelligence qu’il sait mettre au service de sa mission. Frédéric Dard, avec lequel Pierre Mamie a signé un ouvrage de dialogue en 1984, évoque les «fascinantes contradictions» d’un prélat qui, «sous son humilité, gardait une solide fierté paysanne», d’un évêque «qui soignait les âmes en espérant confusément du secours pour lui-même».
Durant un quart de siècle (1970-1995), Pierre Mamie occupe le siège épiscopal d’un diocèse de quelque 700000 catholiques de quatre cantons. Appliquant à la lettre la recommandation d’un de ses prédécesseurs – Marius Besson – Mgr Mamie n’a jamais oublié que «l’Eglise est plus grande que son diocèse». Appelé au sein de commissions vaticanes, il court la planète, diffuse sa parole à travers des médias prompts à lui ouvrir leurs micros, répond aux invitations à l’étranger. L’homme, dont la mission fut d’appliquer à son diocèse les réformes issues de Vatican II, a su utiliser, bien avant d’autres, les instruments de la modernité.
Depuis dix ans en retraite
Mardi 9 août 2005, dernier étage du Foyer Jean Paul II, à deux pas de l’Hôpital cantonal de Fribourg. Si ce n’est un pas plus lent, Mgr Mamie a conservé cette noblesse qui faisait sa marque et qui fut parfois prise pour de l’arrogance. C’est un homme serein, en paix avec lui-même, qui s’avance dans ce grand appartement où sont accrochés les souvenirs d’une vie. Des livres à profusion, des disques, des sculptures religieuses, des ex-voto: l’endroit respire encore l’activité intellectuelle et l’odeur de la fumée… Car l’évêque n’a pas abandonné ce signe distinctif qui pourrait être inscrit sur sa carte d’identité.
Depuis dix ans, l’évêque émérite s’est retiré dans ce vaste quatre pièces dont le couloir principal donne sur une chapelle, où un Christ aux formes très contemporaines signale le goût de l’ecclésiastique pour l’art de son temps. C’est dans son bureau-bibliothèque qu’il reçoit ses hôtes. Sur le bord de la table, deux ouvrages de la correspondance de Charles Journet et Jacques Maritain, dont Mgr Mamie assume la responsabilité de l’édition. Un travail monumental, réalisé avec l’aide du Cercle d’études Jacques et Raïssa Maritain à Strasbourg. Le cinquième des six volumes de correspondance (plus de 1800 lettres) va prochainement paraître, alors que se poursuit la publication des œuvres complètes du théologien fribourgeois. «Au total, ce sont une douzaine de volumes qui sont attendus.»
Lorsqu’il évoque la figure de celui qui fut son professeur, son collègue et son maître, Pierre Mamie est intarissable. «Je continue de penser que c’est avec des Maritain ou des Ratzinger, un des meilleurs théologiens d’aujourd’hui.» Pour célébrer le trentième anniversaire de la mort de l’auteur de L’Eglise du Verbe Incarné, Mgr Mamie collabore à une exposition qui sera présentée à la BCU en avril 2006.
L’intensité de l’instant
Il y a six mois, le cœur de Mgr Mamie a montré des signes de fatigue, le contraignant à réduire un rythme de travail encore soutenu. «Depuis que j’ai eu ces ennuis cardiaques, le médecin m’a prévenu qu’il n’y a plus un matin où je suis certain d’être encore là le soir. Mais ce n’est pas une angoisse.» Comme toutes les personnes de 85 ans, Mgr Mamie sait que son temps est compté, mais il semble goûter encore davantage l’intensité de chaque instant. «On me dit que parfois je dois m’ennuyer: c’est inexact. Depuis ma retraite, j’ai enfin du temps pour prier, du temps pour écrire, pour lire, pour écouter de la musique.» Tenté dans les premiers temps de s’engager dans des affaires qu’il peinait à abandonner, il a fait sien le conseil d’un ami entrepreneur: «Un directeur ne retourne jamais dans l’usine qu’il a quittée.»
Les tentations sont pourtant proportionnelles aux sollicitations. Mais «maintenant, c’est autrement», souligne-t-il. «Je ne sais pas tout, et ne cherche pas à tout savoir mais je continue naturellement à m’intéresser à la vie du diocèse.» Quelquefois par an, ces dernières années, il préside des confirmations. Deux fois par semaine, il célèbre la messe au foyer qui l’abrite, en plus des Eucharisties qu’il dit dans sa propre chapelle ou au séminaire diocésain.
L’évêque règle ses journées avec précision: «Je ne m’endors jamais sans avoir ce que je ferai le lendemain.» Et si, depuis six mois, il diminue ses sorties, cela ne l’empêche pas d’accompagner – comme l’autre jour encore – un ami sur la tombe du cardinal Journet, au cimetière de la Valsainte, ce monastère dans lequel il est allé souvent se ressourcer, plus proche de son Dieu, ce «paradis blanc» où le jeune séminariste jurassien rêvait de revêtir la bure blanche des chartreux.
Aucune nostalgie
Mgr Mamie cultive-t-il de la nostalgie du temps où il servait le diocèse? «Je peux reprendre les termes que j’ai utilisés lors de mon départ: j’ai toujours été heureux d’être évêque, j’ai souvent été un évêque heureux. L’évêque émérite l’est aussi.» Point de regret donc, mais le souvenir de moments plus difficiles comme les tensions avec Mgr Lefebvre ou l’affaire Haas qu’il eut à gérer comme président de la Conférence des évêques suisses.
Il observe son Eglise, «confiant mais parfois inquiet» comme lorsqu’il constate l’absence des enfants et des jeunes aux célébrations liturgiques. Il se réjouit de la place occupée désormais par les laïcs, en particulier par les femmes. Et si ce lecteur assidu de la presse était plus jeune de trente ans, il créerait «un vrai journal catholique, qui manque en Suisse romande».
Mgr Mamie souhaite rencontrer le nouveau pape dont il vante les qualités d’humaniste et dont l’image d’intransigeance contraste avec la connaissance qu’il en a. Il désire revoir Jérusalem ou l’Egypte, pour «la beauté du Nil et du désert». Et il prie «le Seigneur et Notre-Dame des Marches» afin qu’Ils lui laissent encore du temps pour achever la rédaction de ses mémoires entreprises en collaboration avec l’historien Philippe Chenaux. Un livre qui traitera certes du rôle joué par Pierre Mamie au sein de l’Eglise diocésaine à un tournant décisif de son histoire. Mais aussi de toutes ces choses qui ont donné du relief à un parcours peu commun. «Car la vie d’un évêque, c’est aussi des rencontres avec des gens, la musique de Mozart, l’art de Tinguely et de Robert Hossein, les promenades en montagne, en attendant la messe, le silence et la prière…»

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