Larvatus pro deo

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Epoque(s) :

Edition : Paris VIII – Vincennes

Dépot légal : 1975

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Ce titre est celui de la thèse de doctorat de 3ème cycle d’Esthétique que présenta Richard Zrehen à l’université Paris VIII – Vincennes en 1975.
Elle est sous-titrée « Glose sur San-Antonio » et s’attache à démontrer que cet auteur avance masqué sous le couvert de ses romans policiers, ce qui justifie le titre latin de la thèse. En effet, « Larvatus pro deo », qui signifie « j’avance masqué » était la devise de Descartes, cherchant à distinguer la réflexion philosophique qu’il engageait, de la croyance religieuse.

Cette thèse de 252 pages de format 21 sur 29,7 s’articule en deux parties :
Partie 1 : D’un SEMBLANT qui ne serait pas DISCOURS
Richard Zrehen démontre que les héros de San-Antonio ne sont pas autre chose que les mousquetaires de Dumas avec les correspondances suivantes :
Le Vieux est Athos, San-Antonio est d’Artagnan, Bérurier est Porthos et Pinaud Aramis.
Comme dans « Les trois mousquetaires », le héros, San-Antonio, est suivi depuis le « début » ; le passé, même récent, des autres personnages n’est révélé qu’au fur et à mesure de la progression de l’histoire, en fonction des contraintes narratives. Une inversion est à noter, cependant : seul d’Artagnan a un patronyme, les autres mousquetaires n’ayant que des noms d’emprunt. Dans San-Antonio, c’est le héros principal qui s’avance masqué…
Il montre aussi que deux séries, divergentes jusqu’à la caricature, sont actives chez San-Antonio :
– L’aventure, l’action, « la guerre », violente, énergique, volontaire, sans ambages
– La contemplation, désabusée
Il y a du moraliste chez San-Antonio, amer et serein tout à la fois, sensible à certaine vanité, qui éprouve, par moments, le besoin sceptique de se retirer du mouvement
Il conclut cette première partie en disant : « Ce que San-Antonio veut apporter se joue essentiellement dans la surface, mais la « profondeur », pour lui échapper, n’y inscrit pas moins ses effets.
Ce qui n’est pas soupçonné, c’est que la surface n’en est pas une, est « creusée » ;, qu’elle est scène où sont représentés des élément qui obéissent aux mêmes lois de constitution que les objets « réels » correspondants – en quoi San-Antonio est un habile peintre perspectiviste.

Partie 2 : Du Roman, le Mythe
Dans cette 2ème partie, Richard Zrehen décortique les romans policiers de San-Antonio en segments, en moments, selon la chaîne suivante :
– Ouverture : mauvais événement (rupture, agression, perturbation, déchirure, etc…)
– Ré-exposition : obstacle + sévices
– Résolution partielle : bon événement (levée d’obstacle, embryon de piste, preuve, récompense, etc…) ; séquence renouvelable un certain nombre de fois, différentiellement affectée, dans la « progression », d’un gain qualitatif ;
– Final : résolution de l’énigme.
Il démontre aisément que le récit enchaîne ses unités selon un ordre simple de séquences ou sous-séquences favorables au héros (notées +) de de séquences ou sous-séquences défavorables (notées -) . Cela donne :
(-) / (+) / (-) / (+) / (- / +) n………./ (+)
Dans le récit, gouverné par cette double catégorie, on peut donc reconnaître le mythe avec les oppositions sémantiques facilement reconnaissables : agression/défense, détresse/réconfort, souffrance/récompense, mauvais/bon, savoir/ignorance, homme/femme, homme/jeune homme, initié/non-initié, policier/non-policier
On relève aussi dans les San-Antonio l’amour des signes, par l’emploi de citations, plus ou moins célèbres, parfois intentionnellement maquillées, mais, néanmoins, voulues reconnaissables.
« Private jokes, en même temps qu’allusions appuyées, répétées, à un « savoir » réel et consistant.
Ce que Frédéric Dard aime d’un amour contrarié, c’est la Nature « authentique » sous le masque.
Il l’écrit dans la dédicace du roman La vérité en salade : « A Jean Cocteau, qui sait lire à travers les masques, avec l’espoir de le faire sourire ».
C’est pourquoi Céline est le grand ancêtre : héraut spontané du naturel contre l’artificiel, court-circuiteur des relais de communication : « Il a inventé le cri littéraire, voilà comment on peut se faire entendre », comme il le dit dans une interview à Sophie Lannes (voir l’Express n°1100).
Pourquoi ces incidentes, ces signes, sont-ils si nombreux et insistants ? La réponse n’est évidemment pas à chercher du coté d’une volonté de « remplissage ». Celui à qui Dard/San-Antonio dit hargneusement « Apprenez à me connaitre, moi qui écris, je vaux mieux que ça », le lecteur compétent, cultivé et faisant autorité, il n’est jamais sûr de l’avoir « touché », d’avoir suffisamment attiré son attention. Il est donc nécessaire d’essayer un tas de trucs pour l’intéresser, et d’essayer encore ; jusqu’à obtenir un signe. »
Et ce signe est finalement arrivé sous la forme du Séminaire de Bordeaux sous la présidence de Robert Escarpit (Le Phénomène San-Antonio).

Dans sa conclusion, Richard Zrehen écrit : « San-Antonio est, à sa manière, un héros grec archaïque ; c’est aussi le nom de la formidable machine de guerre, montée par le mythe, pour expulser F. Dard de ce qui se raconte au titre du commissaire. »
Et il termine sa thèse par ces mots : « J-A Miller et F. Regnault disent, en substance : « La vérité du roman, c’est le mythe ; faisons du mythe ». Le mythe San-Antonien les précède, et fait du roman … »

Un très grand merci à Jacques Ducher, Ami de San-Antonio de la première heure, qui m’a signalé cette thèse.

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