Lettre à Marc Perry

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Dépot légal : 7 mai 1980

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Suite à la profanation de la tombe de Paul Claudel fin avril 1980, Frédéric Dard écrivit spontanément cette lettre à son ami  journaliste Marc Perry qui était un Claudélien passionné.

Des extraits de cette lettre ont été publiés sous forme dactylographiée dans le livret Deux monstres sacrés en Dauphiné que publia Marc Perry en 1992.

En voici le texte complet :
Genève, le 7 mai 1980
Mon cher Marc
En apprenant ce bas forfait, ce n’est pas de l’indignation que j’ai éprouvée, mais un sentiment d’intense solitude.
Existe-t-il encore pour nous un ultime refuge si, désormais, nos sépulcres sont violés comme de misérables coffres-forts ? La mort n’est donc plus le suprême recours ? Cette mort qu’on appelait benoîtement, jadis, « le grand repos », et qui ne nous préserve plus désormais des honteuses tracasseries d’ici-bas !
Dans ton reportage sur l’affaire, une réflexion m’a beaucoup frappé, celle de l’ancienne servante de Claudel qui dit : « Je ne comprends plus. Mais où va-t-on puisqu’on ne pense qu’à faire le mal et que personne n’est puni ? »
Belle, très belle phrase qui condamne une société et peut-être même l’Humanité entière. Comme cette femme, je comprends de moins en moins parce que sans doute, il n’y a plus rien à comprendre.
Je crois que Claudel, profané dans ses restes mais grandi dans sa gloire, doit poser un regard de grande pitié sur ceux qui ont pensé affirmer je ne sais quoi – voire s’affirmer eux-mêmes par cette absurde et funeste entreprise. Songeons aux paroles déroutantes de Paul VI lors de l’assassinat d’Aldo Moro. Dans un message à ses tourmenteurs, il leur a crié : « Je vous aime ». Car il savait bien où était le mal universel.
L’amour s’éteint dans le monde, alors le monde se refroidit. En déterrant Claudel, ne l’aurait-on pas placé dans un autre tombeau.
Je t’embrasse.
Frédéric

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