Newsletter n°7 – Avril 2019 – Agnès Laurent, Odette Dard et Simenon

Chers amis de Frédéric Dard, bonjour

Cette newsletter n°7 datée d’avril 2019 inaugure un nouveau rythme de parution. Désormais, celles-ci paraîtront le premier jour de chaque trimestre.

Le premier sujet fait le point sur Agnès Laurent que certains considèrent comme un pseudonyme de Frédéric Dard.

AGNES LAURENT DANS LA COLLECTION ANGOISSE DU FLEUVE NOIR
Six titres de la collection Angoisse du Fleuve Noir ont été publiés entre le 2ème trimestre 1970 et le 2ème trimestre 1973 sous la signature d’Agnès Laurent.
Le premier intitulé « Au cœur de ma nuit » (n°182 de la collection Angoisse) raconte l’histoire d’un accidenté de la route devenu amnésique. Trois mois après, quelqu’un se présente à la clinique où il est soigné et le reconnait comme son ami Maurice Tavernier. Eric ramène donc Maurice dans sa maison où l’attend sa femme. Cette grande maison délabrée, au milieu des bois, cernée d’un haut grillage et d’une grille fermée à clé, apparait peu à peu à Maurice comme une prison où il est séquestré par des inconnus, sa femme et son ami qu’il ne reconnait pas.
Les médicaments administrés régulièrement par sa femme Estelle lui paraissent au bout d’un certain temps comme une drogue d’asservissement pour des desseins troubles.
Voila les éléments qui justifient que ce roman fasse partie de la Collection Angoisse.
Maurice, en désespoir de cause, jette un jour, comme une bouteille à la mer, une lettre d’appel au secours par-dessus le grillage. Quelqu’un se présentera et aidera Maurice à fuir, mais cela se révélera être un traquenard.
Le dénouement de l’histoire sera heureux.
Le second roman « L’ultime rendez-vous » (n°188) met en scène trois personnages : Rose-Hélène, une jeune fille campagnarde qui a épousé Alban, un grand écrivain plus âgé qui fait de son épouse sa chose à lui, et Pierre, un ami d’enfance de Rose-Hélène.
Lors d’un voyage en train, un déraillement survient et Alban meurt totalement défiguré. Six mois après, Rose-Hélène, qui envisage de se remarier avec Pierre, reçoit une première lettre d’Alban. Cette lettre, associée à d’autres indices, lui donne à penser qu’Alban est toujours vivant. Plusieurs lettres suivent, renforçant l’emprise d’Alban sur Rose-Hélène et détruisant la relation de confiance avec Pierre. La dernière lettre donne rendez-vous à Rose-Hélène dans la maison de campagne d’Alban pour ouvrir un coffre dissimulé dans un bureau. C’est bien sûr un piège, mais, là encore, le dénouement de l’histoire sera heureux.
Le troisième roman « Le justicier » (n°194) met aussi en scène trois personnages principaux comme dans les deux romans précédents :
– Jérôme Durieux, paralysé des jambes, suite à un accident de voiture
– Anne, son épouse, qui s’occupe de lui et lui administre ses médicaments
– Philippe Duncan, un ami d’enfance du couple, encore amoureux d’Anne.
La santé et le moral de Jérôme déclinent et le doute s’installe. Anne est-elle en train d’empoisonner Jérôme pour refaire sa vie avec Philippe ? Un jour, on trouve Jérôme, mort en bas des escaliers. Anne l’a-t-elle poussé, se demande Philippe ?
Philippe fait son enquête et plusieurs indices se mettent à accuser Anne. Philippe envisage alors de venger son ami en sabotant la voiture d’Anne.
Pour la troisième fois, le dénouement sera aussi heureux.
Le quatrième roman « L’ennemi dans l’ombre » (n°206) diffère notablement des trois précédents.
C’est l’histoire d’une orpheline, surnommée Fée, qui est recueillie par son grand-père, un chirurgien esthétique renommé en retraite. Lorsqu’elle a 12 ans, un drame affreux se produit. Un voleur, que la police poursuit, pénètre violemment dans leur demeure en tuant la bonne, puis force le docteur à lui transformer le visage. Fée, qui s’est cachée dans un placard de la salle d’opération, assiste au meurtre de son grand-père ainsi qu’à celui du complice du criminel.
Neuf ans se passent avant que Jarvis, un clerc de notaire vienne au parloir du pensionnat où est Fée, pour lui apprendre qu’elle est très riche et qu’elle peut disposer de sa fortune puisqu’elle est majeure.
Fée décide, malgré sa fortune, d’habiter la maison de son grand-père, et tombe amoureuse de Jarvis qu’elle épouse rapidement.
Un fils Claude nait et c’est le drame puisqu’il ressemble, trait pour trait, au criminel qui a tué son grand-père. Jarvis, qui a aussi subi une opération esthétique, serait-il le criminel ?
L’histoire, encore une fois, finira bien.
Le cinquième roman « Le sang des étoiles » (n°228) se présente comme une histoire de réincarnation.
Denis vient chaque soir sur la tombe de Sonia, la seule femme qui comptait dans sa vie et qui s’est suicidée en laissant une lettre disant que c’était par amour pour son amant Stève. Une nuit au cimetière, il voit une femme qui ressemble à Sonia. La relation qui nait avec cette femme Marine, qui est amnésique, trouble profondément Denis car il retrouve en elle tous les comportements, les goûts, les attitudes et même la façon de dessiner ou de chanter de Sonia.
Sonia est morte à Sète dans la nuit du 14 juillet et Marine s’est réveillée amnésique le matin du 15 juillet après un accident à Sète. De là à penser que l’âme de Sonia s’est réincarnée dans Marine, il n’y a qu’un pas que Denis n’hésite pas à franchir d’autant plus qu’il a constaté que les empreintes digitales sur la carte d’identité de Marine sont absolument identiques à celles de Sonia.
Une coïncidence troublante vient encore s’ajouter aux autres : Denis surprend Marine en conversation animée avec un inconnu alors qu’elle avait dit à Denis qu’elle ne connaissait personne à Sète et il s’avère que cet individu se prénomme Stève.
Le dénouement de l’histoire sera surprenant, tenant plus du roman policier que du roman d’épouvante.
Le sixième et dernier roman « Requiem pour un fantôme » (n°237) raconte l’histoire d’un voyageur exténué dans une région boisée presque inhabitée qui, en se dirigeant vers un château isolé où brille une maigre lumière, tombe dans un piège à animaux creusé par un jardinier. Outre le jardinier, le château est habité par une vieille dame et trois jeunes filles qui sont ses nièces.
Le premier et deuxième soir, on glisse sous la porte de sa chambre un message le menaçant d’un châtiment raffiné, l’auteur du message le prévenant qu’il est atteint d’une folie lucide.
Un peu comme dans le roman « Dix petits nègres » d’Agatha Christie, le nombre des coupables potentiels diminuera au fil du temps, non pas parce qu’ils vont mourir, mais parce qu’ils vont partir.
Une des nièces quittera le château avec le jardinier qui se révèle être son amant, une autre suivra car l’un des manuscrits qu’elle avait envoyé à des éditeurs a été retenu et qu’elle veut faire une carrière d’écrivain à Paris.
Restera sur place la vieille dame et la dernière nièce qui se trouve être très fragile psychologiquement, mais dont le voyageur est tombé amoureux.
Le châtiment redouté aura bien lieu, mais sans attenter à la vie du voyageur.

QUI EST AGNES LAURENT ?
Alexandre Clément(1) a analysé de nombreux romans de la collection Angoisse et attribue la paternité  de plusieurs d’entre eux à Frédéric Dard. Il a probablement raison dans le cas de L’étrange Monsieur Borman signé Franc Puig ou bien de La cinquième dimension signé Marcel-G. Prêtre. Dans le cas des six titres signés Agnès Laurent, il se trompe en estimant qu’ils sont dus à la plume de Frédéric Dard qui aurait pris comme pseudonyme le nom d’une actrice au grand charme qu’il avait connu en Espagne lors du tournage d’un film de José Loma pour lequel Frédéric Dard avait écrit le scénario et les dialogues.

Considérons les faits d’un œil objectif et chronologique :
Année 1959 : Frédéric Dard fait la connaissance d’Agnès Laurent en Espagne pour le tournage du film Un mundo para mi. Ce film est connu sous le nom Tentations en France. Peut-être que Frédéric âgé de 38 ans à l’époque profite de ce tournage pour mettre dans son lit la belle starlette de 23 ans. Si cette relation a bien eu lieu, elle n’est restée qu’une passade et a été vite oubliée.
Année 1970 : Frédéric vit en Suisse le grand bonheur avec sa deuxième épouse Françoise qu’il a épousé en 1968 après une période difficile en 1965 où il a tenté de mettre fin à ses jours aux Mureaux.
Il gagne bien sa vie avec les San-Antonio petits et hors-série dont les tirages atteignent des chiffres fantastiques (500 000 à 1 million d’exemplaires). Ses romans noirs signés Frédéric Dard ont aussi du succès, même si les tirages sont 10 fois inférieurs à ceux des San-Antonio.
Pourquoi Frédéric se mettrait il donc à écrire des récits d’angoisse sous pseudonyme d’une starlette qu’il a connu de façon éphémère plus de 10 ans auparavant et qui a disparu des écrans depuis 9 ans puisque le dernier film dans lequel Agnès Laurent a joué « Les amours célèbres » date de 1961 ?
Quand on pose le problème sous cet angle, il ne fait aucun doute que ça ne colle pas.

Mais alors qui est Agnès Laurent ?
La solution de l’énigme est simple à trouver car il suffit de consulter l’article paru dans Fleuve Noir informations n°68 daté d’octobre 1970, c’est-à-dire quelques mois après la sortie au Fleuve Noir du 1er roman de cette écrivaine dans la collection Angoisse.
La couverture de ce bulletin est ornée d’une photo d’Agnès Laurent qui n’a rien à voir avec celles de l’actrice éponyme âgée de 34 ans en 1970.

Agnès Laurent alias Hélène Simart en 1970
Actrice Agnès Laurent en 1958
Actrice Agnès Laurent en 1959

Il a pour titre :
AGNES LAURENT, héritière de Bizet, est fermée à la grande musique, mais aime inventer les intrigues.
Dans le corps de l’article, on trouve la mention de deux prix de littérature : « En 1965 je reçois le Prix du Roman Populaire. Le nom me plaît. Je n’ai jamais pensé lancer un message à l’humanité ! Distraire certains me suffit. En 1967, le Prix Max-du-Veuzit, qui récompense le roman le plus reproduit.
J’aime inventer des intrigues, imaginer des héros ou les prendre sur le vif, à l’occasion d’un fait divers ou en regardant l’humanité sous le nez ».
Le Prix du Roman Populaire 1965(2) pour La fille aux yeux dorés (Editions Tallandier) ainsi que le Prix Max-du-Veuzit 1967 pour Le prix du Silence (Editions Tallandier) ont été attribués à Hélène Simart(3).
Il ne fait donc aucun doute que c’est bien Hélène Simart qui a pris le pseudonyme d’Agnès Laurent (probablement sans savoir d’ailleurs que ce nom était celui d’une actrice). En effet, le prénom Agnès était très populaire dans la période 1960-1975 et le patronyme Laurent est très répandu.
Hélène Simart est une écrivaine reconnue pour ses romans d’amour, mais elle a aussi écrit sous le pseudonyme d’Agnès Laurent une cinquantaine de nouvelles policières dans l’hebdomadaire Nous Deux entre 1974 et 1982.
Elle avait donc le talent nécessaire pour écrire ces 6 livres dans la collection Angoisse d’autant plus qu’en y regardant de plus près les 4 premiers livres tournent autour d’histoires d’amour avec des dénouements heureux, totalement à l’opposé des romans noirs de Frédéric Dard.

(1) Frédéric Dard, San-Antonio et la littérature d’épouvante (Edition Les Polarophiles tranquilles) pages 135 à 155
(2) Fiche Wikipedia Prix du roman populaire
(3) Fiche Wikipedia Hélène Simart

HOMMAGE A ODETTE DARD
Je voudrais aussi rendre hommage dans cette newsletter à Odette Dard qui a été la première épouse de Frédéric Dard et a vécu avec lui de 1942 à 1965.
Elle nous a quittés brusquement en novembre 2018 suite à un AVC.

Photo de Jean-Paul Vérine.                            Odette tient un dessin original de Joseph Hémard provenant de l’édition illustrée de Croquelune

J’avais eu la chance de rencontrer plusieurs fois Odette en 2016 lorsque nous préparions le livre Berceau d’une œuvre Dard qui traite du début de carrière de Frédéric Dard de 1938 à 1950. Odette avait d’ailleurs accepté d’écrire une magnifique préface pour ce livre.
Le n°88 du Monde de San-Antonio lui rend un hommage appuyé en publiant de nombreux témoignages de personnes qui l’ont connu.
Pour ma part, je voudrais simplement partager avec vous deux envois de Frédéric à son attention, le premier dans La Peuchère en 1940 et le second dans Equipe de l’ombre en 1941.

Dédicace la Peuchère Odette
Dédicace à Odette dans La Peuchère
Dédicace Equipe de l'ombre
Dédicace à Odette dans Equipe de l’ombre

 

 

 

 

 

 

 

 

LETTRE DE SIMENON
Je voudrais terminer cette newsletter en vous signalant une lettre manuscrite de Georges Simenon, datée du 12 novembre 1946, qui félicite Frédéric Dard pour son dernier roman La mort des autres.

Bonne lecture et profitez bien de ce nouveau printemps qui démarre.
Lionel Guerdoux